Comme le souligne Léonard Gianadda, la Fondation éponyme a le privilège de pouvoir être associée à de grandes expositions du musée des Beaux-Arts de Berne, grâce à son directeur, Matthias Frehner En effet, après Albert Anker, Félix Vallotton, Ernest Biéler, la Fondation Pierre Gianadda bénéficie à nouveau de cette précieuse collaboration en présentant l’hiver prochain les œuvres d’artistes emblématiques de notre pays avec la complicité et la générosité de la Fondation pour l’art, la culture et l’histoire
Un collectionneur atypique, étonnant, pour une collection hors norme, exclusive, unique
Bruno Stefanini, qui fête cette année son nonantième anniversaire, se révèle un collectionneur atypique qui a, depuis plus de cinquante ans, rassemblé plus de huit mille pièces, dont des peintures et travaux sur papier, des centaines de statues et d’ouvrages de sculpture, de grands ensembles de livres rares, des objets précieux et des armes d’apparat, du mobilier et des productions des arts décoratifs. Cette incroyable collection se trouve réunie dans la Fondation pour l’art, la culture et l’histoire fondée en 1980 par Bruno Stefanini, mécène de Winterthur. Elle ne réunit pas seulement l’art suisse depuis le XVIIIe s. jusqu’à l’époque moderne mais comprend également des monuments historiques d’importance nationale tels les châteaux de Grandson (canton de Vaud), de Salenstein et de Luxburg, (canton de Thurgovie) et Brestenberg (canton d’Argovie). Il s’agit certainement «… de la plus vaste collection d’œuvres d’art et d’objets historiques jamais réunie dans notre pays par une seule et même personne ». Grâce à Bruno Stefanini et sa Fondation, des œuvres d’art suisse, proposées sur le marché de l’art et que les musées, faute de moyens financiers n’ont pas pu acquérir, ne sont pas parties à l’étranger et ont rejoint ladite Fondation.
Bruno Stefanini est né à Winterthour en 1924. Son père, émigré de la ville de Bergame en Lombardie, ouvrier spécialisé dans la tuyauterie, dirigera le légendaire restaurant Salmen aux spécialités italiennes réputées. Les premières incitations à s’intéresser à l’art viennent de sa mère qui collectionnait les antiquités et emmenait son fils Bruno quand elle allait chiner chez les brocanteurs. Au Lycée il s’adonne avec passion à la lecture et engrange une solide culture sur la littérature. Il affectionne aussi le dessin. Bruno Stefanini entame des études de sciences naturelles à l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich. Il passera plusieurs années sous les drapeaux au moment de la Deuxième Guerre mondiale et obtient le grade de capitaine d’infanterie. Il interrompt ses études et, à l’époque du boom économique des années 1950/60, il développe son activité dans la branche immobilière. Avec une stratégie qui consiste à investir ses revenus locatifs dans de nouvelles promotions, il devient l’un des plus importants propriétaires privés de biens fonciers en Suisse, ce qui lui permet de constituer une collection d’une telle ampleur. Stefanini consacre à sa passion pour l’art l’exclusivité de ses maigres loisirs. Ardent lecteur, il possède des connaissances étendues sur l’histoire de l’art. Mathias Frehner a demandé il y a cinq ans à Bruno Stefanini d’organiser une exposition consacrée aux trésors de sa collection. Ce dernier déclina l’invitation, jugeant « que c’était encore trop tôt » ! Pour 2014, le mécène est d’accord pour une présentation de sa collection sous la forme d’une sélection concise. Probablement que le passage de ladite collection à la Fondation Pierre Gianadda, en Suisse romande, après le Musée des Beaux-Arts de Berne, n’est pas étranger à l’acceptation de Bruno Stefanini de dévoiler un pan des œuvres prestigieuses de sa Fondation pour l’art, la culture et l’histoire. DE QUELQUES CHEFS-D’ŒUVRE POUR ILLUSTRER LES DIX THEMES DE L’EXPOSITION Pour mieux faire passer avec efficacité les œuvres d’artistes différents, l’exposition se présente sous forme de thèmes : peintures d’histoire, de genre, de paysage, représentation d’animaux, natures mortes, le symbolisme dans l’art suisse, le nu, l’enfant en peinture, portraits et autoportraits. Des œuvres d’artistes allant de 1762 au milieu du XXe s. documentent de façon exhaustive les thèmes cités et entraînent le visiteur dans une balade éclectique illustrée en grande partie par des peintres suisses de grand renom.
Albert Anker, (1831-1910), interrompt ses études de théologie à Berne et Halle, pour suivre les cours de Charles Gleyre à Paris en 1854 et l’Ecole impériale et spéciale des Beaux-Arts. Dès 1860, il s’installe dans un atelier à Anet, son village d’origine, y passe les étés préférant travailler à Paris pendant les hivers.
La peinture d’Anker est présente dans plusieurs thèmes comme par exemple Les Polonais en exil (1868) qui dans le thème de la peinture d’histoire, montre un grand-père mélancolique avec son petit-fils, écoutant jouer sa petite fille au piano, probablement du Chopin, et rappelle les milliers de réfugiés qui émigrent en Allemagne, en Belgique et en France, après l’entrée des troupes russes pour écraser l’insurrection populaire à Varsovie en 1831. Dans cette peinture d’histoire, on remarque qu’Anker préfère dépeindre le calme après la tempête que la fureur des champs de bataille, on retrouve la même démarche dans son tableau Les Bourbakis (1871). Mais c’est dans le thème de la peinture de genre, avec des représentations de la vie quotidienne d’autrefois, qu’Anker excelle. Avec son réalisme tranquille, prompt à saisir avec une sensibilité psychologique développée, il raconte l’enfance Les sœurs Gugger tricotant, 1885, le monde paysan : Le vin nouveau, 1874 ou Vieille lisant le Zollikofer, 1885.
Ferdinand Hodler, (1853-1918), né à Berne, est l’aîné d’une famille pauvre de six enfants, qui sera peu à peu décimée par la tuberculose. Dans les années 1867/68 et 1871, Hodler fait un apprentissage auprès du peintre de vues alpestres. Ferdinand Sommer à Thoune. Entre 1872 et 1877 il suit les cours de Barthélemy Menn comme étudiant libre à Genève, ville où il passera la plupart de son temps dans différents ateliers. Il entretient des contacts avec Paris : le salon de la Rose-Croix et avec la Sécession à Vienne. Quelques mois avant son décès il est nommé en 1918 bourgeois d’honneur de la République et canton de Genève.
Hodler avait besoin d’être fasciné par un sujet et notamment par le paysage pour le représenter. Dans le thème peintures de paysage, les vues sur le lac Léman en témoignent. Par exemple, Le lac Léman vu de Chexbres vers 1904 et Vue sur le lac Léman vers 1915, dans ces deux tableaux les jeux de lumière sont étudiés avec des couleurs d’éternité, le premier baigne dans des nuances bleutées admirables, un ciel linéaire, une vision quasi panthéiste de la nature, le deuxième confine à l’abstraction, avec un lac stylisé, dont les différentes tonalités donnent un rythme d’une harmonie intemporelle. On retrouve Hodler dans le thème du symbolisme dans l’art suisse avec deux œuvres célèbres : Las de vivre, après 1892, et Heure sacrée, 1911. Dans ces deux peintures Hodler pratique son fameux parallélisme qu’il définit comme « répétition de formes semblables ». En répétant mais en variant, les mêmes formes et les mêmes figures, il crée une harmonie rythmique qui s’impose avec force chez le spectateur. Avec Las de vivre, l’artiste montre des hommes fatigués mais déjà avec leur tenue blanche sur le chemin de l’au-delà. Heure sacrée, joue entre un équilibre très hiératique et dynamique et la symétrie des visages, le tout impliqué dans une guirlande de fleurs aux accents d’offrande.
Félix Vallotton, (1865-1925), naît à Lausanne et étudie à l’Académie Julian de Paris. En 1892, Vallotton se lie aux Nabis et participe à leurs expositions jusqu’à la dissolution du groupe en 1903. Une métaphore accompagne le nom de chaque artiste nabi, Vallotton est qualifié de nabi étranger ! Il acquiert la nationalité française en 1900. A partir de 1899, il présente ses œuvres sur un plan international, notamment aux Sécessions de Berlin (1901) et de Vienne (1903).
Après avoir été l’une des figures majeures des Nabis dans les années 1890 à Paris, où ses fameuses gravures sur bois le rendent célèbre, à partir de 1900 il revient à la peinture avec des nus, des paysages et des natures mortes. Les nus féminins représentent plus d’un tiers de la production picturale de Vallotton. Il s’écarte des canons de la beauté habituelle et ses nus étonnent par leur chair marmoréenne et n’incarnent pas un type de perfection idéale. De la Baigneuse au rocher, 1911, aucun érotisme ne se dégage de ce corps au ventre fatigué et aux formes généreuses. Ce qui frappe c’est le regard fixe comme tétanisé et la torpeur qui semble gagner la Baigneuse qui prend appui sur le rocher avec ses bras lourds. Que voit-elle ? A quoi pense-t-elle ? Le mystère demeure. Et pourtant l’écume que le modèle fixe, forme un décor japonisant d’une grâce éblouissante. Vallotton aime la mer, et cette passion se manifeste de belle manière notamment dans Marée montante le soir, 1915. Quelques bandes horizontales à la luminosité vespérale, la mer aux couleurs vives mais neutralisées par l’arrivée du crépuscule, les rochers qui se répondent dans une ordonnance symétrique, tous ces éléments font de cette œuvre, un paysage à la limite de l’abstraction, d’un synthétisme exemplaire.
Giovanni Segantini, (1858-1899), naît au bord du lac de Garde. Orphelin très jeune, il travaille à partir de 1875 chez le peintre Luigi Tettamanzi à Milan et fréquente l’Académie de la Brera. En 1886 il s’installe à Savognin dans les Grisons puis en 1894 à Majola dans l’Engadine. Il se lie avec Giovanni Giacometti. Alors qu’il travaille à son grand triptyque des Alpes, il succombe à une péritonite. Il aura été toute sa vie un « sans-papiers ».
Dans les Grisons, Segantini, découvre une lumière pure, la beauté enivrante de la nature qui lui inspire les motifs de son œuvre de maturité. Disparu prématurément, ce « nomade apatride », connaît à partir de 1911 une gloire posthume, lorsque le musée Segantini à St-Moritz, inauguré en 1908, reçoit en dépôt de la Fondation Gottfried Keller, le célèbre Triptyque des Alpes. La Fondation pour l’art, la culture et l’histoire, possède trois dessins de grand format au fusain et au crayon Conté, qui sont des esquisses destinées à faire connaître son projet de panorama pour obtenir un financement. Ces admirables compositions seront accrochées aux cimaises de la Fondation Pierre Gianadda, une mise en bouche exceptionnelle, pour les visiteurs qui ne connaissent pas le musée Segantini où se trouve la version peinte. Représentant : La Vie, la Nature et la Mort, 1898/1899, chacun des trois thèmes, est surmonté d’une lunette aux motifs allégoriques : le premier représente les éléments célestes avec l’opposition de la vie et de la mort, le deuxième une vue nocturne un peu mystique de St-Moritz et le troisième deux anges emportant une âme vers l’infini. Dans cette évocation, le symbolisme de Segantini exulte. Quant auxdits panneaux principaux : la Vie montre un décor agreste sur un fond constitué par les sommets imposants de la Haute-Engadine, la Nature avec des paysans conduisant leurs troupeaux où l’on retrouve l’amour de Segantini devant une nature intacte, et le dernier : une scène de contraste, où la vie continue avec des scènes de labour et un peu plus loin des femmes recueillies, arrêtées dans le temps, assistent au départ d’un cercueil. Trois thèmes puissants, éternels, où la vie se dispute à la mort.
Sésame, ouvre-toi ! Une formule magique qui s’ouvre sur une balade thématique de quelque 150 peintures ! A part les quatre artistes cités, un panel de peintres suisses, tels Cuno Amiet, Alice Bailly, François Bocion, Alexandre Calame, Augusto et Giovanni Giacometti, Jean-Etienne Liotard, Edouard Vallet, etc., qui fera de cette exposition, un événement exceptionnel : une rencontre avec une collection prestigieuse née d’un mécène hors du commun.